Viktor et Leila Khrapunov parlent des raisons de l’escalade politique et de la guerre menée par Akorda contre les ennemis de Nazarbayev.
Alexey Tikhonov : Leila, Viktor, bonjour. Je commencerai par poser une question à Viktor qui connaît très bien le mécanisme de fonctionnement du système politique d’Akorda (palais présidentiel à Astana, – n.d.l.t.). Depuis quelques semaines nous assistons à une recrudescence incroyable sur le front politique et idéologique. Les guerres menées par Akorda contre ses ennemis prennent une dimension fantasmagorique. Pourriez-vous commenter ce fait et nous dire quelles sont les raisons de cette exacerbation ? Mais avant tout j’aimerais vous demander si vous êtes d’accord avec cette affirmation ?
Viktor Khrapunov : Merci pour cette question, je trouve votre approche très juste. En effet, aujourd’hui il y a une certaine exacerbation dans la vie politique de la République du Kazakhstan, et elle est dirigée contre les personnes considérées par Akorda comme des ennemis. Une large offensive déployée dans les mass-médias a pour but de discréditer l’image de ces soi-disant ennemis d’Akorda. Une recrudescence de ce processus est évidente, parlons de ses origines.
Alexey Tikhonov : Une séance du Conseil de sécurité nationale a eu lieu récemment, suite à laquelle on a vu de nouvelles attaques dirigées, entre autres, contre l’opposition. Pourquoi le problème lié à l’opposition politique est désormais considéré comme relevant de la compétence du Conseil de sécurité nationale, quel est le lien entre les deux ?
Viktor Khrapunov : Le plus intéressant est que les problèmes examinés aujourd’hui lors des séances du Conseil de sécurité, restent secrets, on ne peut rien en savoir, on ne peut que deviner quels problèmes ont été examinés aujourd’hui ou il y a quelques jours lors d’une séance du Conseil de sécurité. Moi aussi j’ai été membre du Conseil de sécurité et je sais très bien comment ses séances étaient organisées et quels problèmes étaient examinés. Je ne peux que supposer qu’il doit y avoir aujourd’hui quelque chose qui perturbe fortement la vie politique du Kazakhstan pour que Elbassy (« leader de la nation » en kazakh, – n.d.l.t.) décide de convoquer le Conseil de sécurité de la République du Kazakhstan. A mon avis, il ne s’agit pas de se pencher sur la crise au Proche Orient, ni sur le problème des missiles qui volent dans cette région : cela n’a pas de conséquences pour la sécurité du Kazakhstan (du point de vue géopolitique, le Kazakhstan est tellement loin du Proche Orient !). Il y a autre chose. Selon moi, le leader de la nation est très préoccupé par la situation politique actuelle à l’intérieur de l’Etat et autour du Kazakhstan. Aujourd’hui de plus en plus de personnes sont mécontentes de la politique mise en œuvre au Kazakhstan, lorsque la liberté de la parole n’est plus respectée (ainsi, Dariga, la fille de Nazarbayev, dans un discours prononcé lors d’un forum, a déclaré que la liberté de l’expression n’était qu’une notion dépassée, qu’il n’était plus nécessaire de la respecter : elle a fait son temps. Si cette politique consistant à étouffer la liberté de l’expression fait partie de la politique du leader de la nation, on pourrait envisager qu’une attaque musclée vas être déclenchée contre les structures et les médias qui se battent aujourd’hui pour la liberté de l’expression au Kazakhstan.
Alexey Tikhonov : Et pourtant, des médias pro-gouvernementaux, notamment le journal « Kazakhstanskaya pravda », publient régulièrement des articles dans lesquels ils prétendent, par exemple, que vous êtes un spoliateur, que vous auriez pillé des biens appartenant au peuple kazakh. Quel est le lien entre les problèmes relevant de la sécurité nationale et ses accusations formulées à votre égard ?
Leila Khrapunova : J’essayerai de répondre à cette question pour vous dire quel est mon avis. (Bien sûr, il ne peut s’agir que de mes réflexions, mais je crois que ma vision des choses est tout à fait réaliste). On peut supposer que le Conseil de sécurité aurait élaboré une stratégie visant à combattre l’opposant majeur au pouvoir de Noursoultan Nazarbayev, Mukhtar Ablyazov. A mon avis, – j’analyse la situation de l’extérieur, depuis l’étranger, – quelqu’un a eu une idée « brillante » d’inventer cette menace politique virtuelle, cette image d’un ennemi politique virtuel du pays que le Conseil de sécurité essaye de combattre pour donner plus de poids à sa mission. En réalité, pour complaire au leader de la nation on fait passer ses ennemis personnels pour un grave danger collectif pour la politique du pays. On peut voir comment ce plan stratégique était réalisé d’après l’évolution des événements dans la vie politique intérieure du Kazakhstan. Depuis deux dernières années nous avons assisté à des mises en scène foireuses de quelques attentats terroristes, à une poussée religieuse, nous avons vu les événements dramatiques de Zhanaozen où, suite aux efforts déployés par les autorités, une manifestation pacifique de travailleurs a été transformée en une sorte de confrontation politique. Depuis deux dernières années le pouvoir en place fait tout pour attiser des haines sociales, pour semer la discorde voire même entrainer le pays dans une guerre civile. Pourquoi Nazarbayev en a besoin ? – je pense qu’il le fait pour créer l’image de cet ennemi politique virtuel du pays et, en utilisant la machine étatique, le budget de l’Etat et le soutien des institutions internationales, s’assurer du soutien de la part d’une élite politique et déclarer : « Je suis en train de combattre des terroristes, je lutte contre la corruption ».
Nous avons également assisté à cette véritable campagne de lutte contre la corruption qui avait précédé ces événements et dont les membres de l’entourage proche du leader de la nation ont si bien su tirer profit. Cette lutte contre la corruption est devenue un vrai business pour l’entourage du président, elle sert bien ses intérêts. C’est ainsi qu’on crée une certaine activité politique illusoire à l’intérieur du pays, tandis que la population abandonnée à elle-même est préoccupée par sa vie privée et par ses problèmes quotidiens. Vue de l’extérieur, la politique intérieure a tout d’un échec : le pouvoir est faible, il est incapable de mener un dialogue avec les kazakhstanais, il préfère fusiller. Aujourd’hui ce sont surtout les médias pro-Etatiques qui s’occupent de la politique intérieure, cela a l’air d’une machine étatique mise en marche pour intoxiquer la population et détourner son attention des problèmes sociaux réels, des besoins et des nécessités des simples citoyens du Kazakhstan.
Par conséquent je pense qu’en observant en analysant la situation politique intérieure et extérieure dans ce pays on peut l’évaluer ainsi : il y a eu des réussites dans la politique extérieure, des campagnes de communication d’envergure ont été mises en place, le sujet de la dénucléarisation a bien été exploité afin d’obtenir une nomination aux prix Nobel de la paix… En même temps, dans le domaine de la politique intérieure nous voyons le pouvoir faible, incapable de résoudre des problèmes économiques, d’assurer l’organisation des élections locales transparentes et équitables ou de lutter réellement contre la corruption. Aujourd’hui la population peut dire à juste titre que le simulacre de lutte contre la corruption n’a aucun effet, il faut commencer cette lutte en punissant les corruptionnaires majeurs. Le peuple kazakh n’est pas dupe, nous savons que les corruptionnaires majeurs occupent aujourd’hui des sièges à Akorda.
La politique intérieure est donc un échec, pendant cette période nous n’avons pas vu de grandes réussites dans le domaine social. En même temps, nous avons vu comment la liberté de l’expression était étouffée dans les médias. Viktor vient de rappeler que désormais les représentants de l’Etat déclarent que la liberté de la parole est une notion démodée qui a fait son temps. C’est ainsi qu’aujourd’hui le Kazakhstan montre au monde entier ses progrès en matière d’intoxication de la population et de détournement de son attention des problèmes personnels aux problèmes artificiels. Aujourd’hui toute la machine étatique, tout le pays est mobilisé pour lutter contre les ennemis personnels de la famille Nazarbayev, – pour la seule raison qu’il s’agit de ses opposants politiques. Tout porte à croire que Nazarbayev fait preuve d’une faiblesse politique car un pouvoir fort c’est celui qui est capable de mener un dialogue avec son peuple, y compris sur des sujets politiques. Or, lorsque le pouvoir refuse de contacter avec le peuple, lorsqu’il répond par des décisions et des actes réactionnaires, cela démontre la peur que lui inspire tout dialogue politique. Par conséquent, mon avis sur ce qui se passe au Kazakhstan est le suivant : il est probable que quelqu’un au sein du Conseil de sécurité comprend qu’il est nécessaire de changer de stratégie. Aujourd’hui, lorsque, d’après une idée ou une stratégie proposée par quelqu’un, toute l’opposition politique est assimilée à des criminels de droit commun, à des voleurs, tout porte à croire que cette campagne de promotion ne fait qu’accompagner des événements bien plus importants et planifiés d’avance.
Le 19 novembre 2012 à Genève a eu lieu l’inauguration du Centre Nazarbayev, institution publique kazakhe, et d’un projet ATOM. On peut donc en déduire qu’il existe un programme, une stratégie visant à promouvoir non point l’image du Kazakhstan mais celle du leader de la nation en tant que personnalité d’envergure internationale, et qu’une série d’événements d’accompagnement sont prévus dans le cadre de cette stratégie. Une campagne diffamatoire lancée dans les médias contre deux qui défendent les principes de la liberté de l’expression et de l’information objective et impartiale fait probablement partie de cette stratégie. Ceci explique la campagne dirigée contre l’opposition par les médias publics et ceux qui sont affiliés au pouvoir en place, ceci explique également cette présentation du leader de la nation. Sous un nom « modeste » et aux frais de l’Etat le Centre Nazarbayev, établissement public, est inauguré en grande pompe en Suisse. Quel acte de courage, – pourrait-on s’exclamer en pensant à la décision de fermer le polygone (site d’essais nucléaires) à Sémipalatinsk prise il y a 21 ans par Noursoultan Nazarbayev ! – Or, ceci n’est qu’une nouvelle falsification, le peuple kazakh est de nouveau volé. Car à cette époque Nazarbayev ne faisait que suivre la volonté du peuple exprimée surtout grâce aux actions du Mouvement populaire Nevada-Semey qui luttait contre la fermeture de ce polygone. Encore une réussite du peuple du Kazakhstan que le leader de la nation s’est appropriée car il cherche à obtenir une reconnaissance internationale en briguant le prix Nobel de la paix qu’il n’arrive toujours pas à décrocher.
Il a donc fait appel à des hommes politiques à succès, MM. Tokaev et Saudabaev qui, en réunissant leurs efforts, réalisent cette « mission sacrée » qui « ne manquera pas à être largement soutenue par la communauté internationale ». Leur but est évident : sur fond de campagne de diffamation dans les médias dirigée contre les médias libre et les opposants politiques à Nazarbayev, des actions politiques ciblées visant à immortaliser l’activité et le nom de Noursoultan Nazarbayev sont mises en œuvre, aux frais de l’Etat en nom de la République du Kazakhstan. Si je comprends bien, le Conseil de sécurité s’était réuni suite à une commande formulée par la dynastie Nazarbayev au pouvoir pour élaborer des projets qui ont pour objet de combattre l’opposition politique afin d’assurer la sécurité des membres de la famille du leader de la nation en avenir et de leur garantir la possibilité de garder leur fortune et leur influence sur l’économie du Kazakhstan.
A cet égard je pense qu’on devrait s’attendre à une augmentation sensible de répressions à l’encontre de l’opposition politique : souhaitant diaboliser la situation, ils feront tout pour présenter l’opposition politique actuelle au Kazakhstan comme une force unifiée, pour mettre dans le même panier ceux qui les dérangent. On ne peut pas exclure des provocations destinées à faire passer cette force pour une sorte de groupe criminel organisé à caractère terroriste : ceci leur permettrait de briguer le soutien des organisations internationales ou au moins espérer leur silence au moment où le pouvoir kazakh voudra régler ses comptes avec les opposants politiques à Nazarbayev. En effet, Nazarbayev et son entourage proche ont tout intérêt à fabriquer cette image d’un ennemi. L’aggravation de la situation dans les médias qui a eu pour effet la résolution du Ministère public appelant à étouffer la liberté de l’expression, ainsi que les déclarations de la fille de Nazarbayev sur la liberté de la parole citées par Viktor, l’action des services de maintien de l’ordre entreprise à l’intérieur du pays et la présentation au niveau international de la « noble mission » du grand leader du Kazakhstan, – tout ceci faisait partie d’un programme destiné à immortaliser le nom de Nazarbayev comme d’un grand homme politique du Kazakhstan, à assurer la sécurité des membres de sa famille après son départ, pour qu’ils puissent garder les capitaux pillés et garder leur influence sur l’économie du Kazakhstan. Le but de cette stratégie est d’éliminer l’opposition politique et les ennemis personnels des Nazarbayev, d’éliminer les personnes qui les dérangent, dont cette famille a peur. Les Nazarbayev abusent du pouvoir, déclenchent des répressions, portent un préjudice à l’économie et à l’image de ces personnes tout en redoutant les conséquences de ses actes, agissant selon le principe en vigueur pendant la période stalinienne : « le meilleur ennemi est un ennemi mort ». Aujourd’hui ils en discutent et tentent de donner à cela une envergure publique, stratégique, pour pouvoir satisfaire leurs intérêts personnels et les appétits du leader de la nation, pour utiliser sans vergogne la machine étatique dans ce règlement de comptes avec les personnes qui les dérangent. C’est bien de la corruption politique.
Alexey Tikhonov : Viktor, êtes-vous d’accord avec cette vision de choses selon laquelle nous assistons à une réalisation d’un projet d’envergure que l’on pourrait baptiser « Le Successeur » ? Pensez-vous que tous ces événements pourraient faire partie d’un certain programme ou bien il s’agit d’une escalade occasionnelle provoquée par la nature même de ce régime politique qui ne tolère aucun adversaire ?
Viktor Khrapunov: Cela n’a rien d’une action spontanée, il s’agit d’un programme bien réfléchi qui avait déjà été testée dans le cadre du programme « Super-Khan ». Toutes les actions entreprises et mises en œuvre aujourd’hui par l’administration présidentielle sous sa direction personnelle ont été bien élaborées. A un certain moment, on offre à la population une telle ou telle perturbation du système bien établi, pour détourner l’attention des problèmes auxquels doivent faire face Elbassy et les membres de sa famille. Leila a raison de dire que le problème majeur pour Nazarbayev c’est la possibilité de garder les capitaux et les actifs qu’il « aurait gagné par une voie tout à fait honnête », tout en étant Président et n’ayant, du point de vue légal, aucun droit à faire du business. Pour garder cette fortune, il faut beaucoup travailler, et une personne de cet âge éprouve une méfiance accrue envers ceux qui l’entourent, il commence avoir des doutes et à se méfier de tout le monde. Pour être franc, aujourd’hui il aurait pu invoquer la « Loi sur le Premier Président » d’après laquelle le titre d’Elbassy lui est réservé, – il aurait pu s’en contenter en faisant élire à sa place un président de son choix (c’est bien ce qu’il avait envisagé). Le poste de président peut être occupé par quelqu’un parmi les membres de sa famille, mais cela peut être quelqu’un d’autre, un homme de paille, une marionnette qui suivra docilement les instructions d’Elbassy. Et pour que son successeur ne se fatigue pas trop, il avait fait inscrire dans la constitution l’article consacré à son mandat : pas plus de deux mandats présidentiels successifs. C’est la peur, celle de perdre sa fortune « gagnée grâce à son travail honnête », celle de ne pas pouvoir assurer la sécurité à lui-même ni aux siens, qui préoccupe aujourd’hui le chef de l’Etat. Beaucoup d’efforts sont déployés pour détourner le peuple de ce qui le travaille aujourd’hui : nous le voyons bien lorsque des entreprises publiques sont introduites en Bourse, lorsqu’après tout devient parfaitement légal, l’argent devient propre, on rachète ou on revend des actifs… – tout cela permet de « légaliser » l’argent touché d’une manière illicite, de blanchir des fonds.
A mon avis, dans la situation actuelle la société devrait dire ouvertement : « Monsieur le Président, nous assurerons votre sécurité, nous vous permettrons de garder votre argent, « gagné dans la sueur de votre front », mais s’il vous plait, veuillez laisser le Kazakhstan tranquille et évitez de nouvelles répressions comparables à celles de 1937 en URSS. Dans une telle situation la population doit le clamer haut et fort pour que le président du Kazakhstan change complètement de politique, surtout en ce qui concerne les citoyens qui l’ont élu. Il ne dit pas que ces gens-là font partie de son peuple, il n’y a pas le droit ; ce sont des gens qui l’ont élu, c’est grâce à eux qu’il a le droit de diriger le pays. Or, de ce droit il a fait une source de revenus et aujourd’hui il s’enrichit grâce à l’activité économique du Kazakhstan. C’était une action bien élaborée et à un certain moment tous les mass-médias se sont tus. Pourquoi ? – c’est élémentaire : ils ont dû se taire car c’étaient des agitateurs, car ils faisaient tout pour troubler les esprits qui, grâce à l’action des médias contrôlés par Elbassy et par ses proches, avaient été orientés comme il l’avait souhaité. Du coup, lorsqu’un média se permet d’exprimer un autre point de vue, tout le monde trouve ça inadmissible ! L’ennemi est trouvé, le voilà, il faut l’éliminer, et toute la machine, toutes les forces sont mises en marche pour résoudre ce problème. C’est ainsi que je comprends ce qui se passe.
Alexey Tikhonov : Néanmoins, nous pouvons constater que le régime est en train de se débarrasser de toutes les institutions plus ou moins démocratiques alors que ces mêmes institutions auraient pu, à un certain moment, offrir au président des garanties d’immunité personnelles – en contrepartie de son départ. Et aujourd’hui Elbassy reste entouré de personnes qui en principe devraient lui offrir ces garanties mais qui risquent de le trahir (on a vu souvent ce genre de situation pendant la période soviétique).
Leila Khrapunova : C’est tout à fait juste. Pour revenir au sujet de l’inauguration du Centre Nazarbayev et du projet ATOM le 19 novembre, je dirai qu’on voit ici deux figures politiques majeures et qui ont déjà fait leurs preuves en tant que politiciens efficaces et utiles à Nazarbayev, notamment lors de la régulation des problèmes survenus dans le cadre de l’affaire dite Kazakhgate. Je parle de Kanat Saudabayev qui avait longtemps travaillé aux Etats-Unis et de Kassym-Jomart Tokaev qui avaient été chargés de résoudre ce problème et y ont réussi. Aujourd’hui une fois de plus Nazarbayev compte sur l’efficacité de ces politiciens qui l’avaient déjà aidé auparavant à régler le problème de Kazakhgate. Or, la question se pose : pourquoi ces deux hommes politiques ont choisi la Suisse pour y lancer un projet d’intérêt national de cette envergure ? – Il se trouve que de grands actifs appartenant à sa fille Dinara et à son époux Timur Kulibayev ont été saisis sur des comptes en banques suisses.
Il est probable que ces « poids lourds » politiques du Kazakhstan aurait assuré Noursoultan Nazarbayev qu’ils étaient capables de résoudre ce problème lié à l’argent des Nazarbayev en Suisse. Ils ont donc décidé de joindre les enjeux politiques aux intérêts économiques, et c’est pour cela que nous apprenons ici le lancement du projet ATOM. Tout le monde sait qu’un bon nombre de scientifiques venu du monde entier sont concentrés en Suisse qui d’autre part attire également des représentants de l’oligarchie des affaires. Par conséquent, ces hommes politiques essayent manifestement d’associer les intérêts politiques personnels et les ambitions de Nazarbayev aux promesses d’avantages économiques au Kazakhstan.
La situation est d’autant plus cynique que cela se fait sous l’égide d’une « sainte mission internationale » du président Nazarbayev, grand champion de la dénucléarisation. Or, qu’est-ce qui a été fait sous sa présidence pour la région qui a tellement souffert de ces essais nucléaires ? Rien n’a été fait pour les habitants de Semipalatinsk ni pour la population du Kazakhstan Oriental. La fermeture de ce polygone nucléaire était en réalité une grande réalisation du peuple kazakh.
Dès lors nous pouvons se poser la question si les initiatives politiques élaborées par l’entourage de Nazarbayev sont d’actualité, si elles ne le poussent à commettre de nouvelles erreurs politiques. S’agissait-il d’une instruction donnée à Kanat Saudabaev et à Kassym-Jomart Tokaev de se charger de ce programme, ou bien c’était une initiative proposée par ces politiciens pour plaire au leader de la nation et l’assurer de sa parfaite loyauté et serviabilité ? – nous ne pouvons pas le dire avec exactitude, pour le moment cela reste un mystère. Quoi qu’il en soit, il est évident que le pouvoir kazakh essaye d’ « acheter » le soutien de la communauté internationale en reliant ses ambitions politiques à ce programme de dénucléarisation lancé par le Kazakhstan et auquel d’autres Etats pourraient participer. Lorsque j’étais enfant et vivais avec ma famille au Kazakhstan Oriental, j’ai vu ce champignon atomique. Nous avons bien vécu dans cette région, nous avons respiré cet air, nous avons souffert de ces explosions nucléaires. Et nous ne voulons pas verser des larmes en apportant de l’eau au moulin du leader de la nation, nous ne voulons pas travailler pour la promotion de son image. Ce que nous souhaitons c’est de défendre les intérêts de nos compatriotes, et nous avons une question à poser au leader de la nation : puisque vous venez de lancer cette initiative politique retentissante, répondez-nous d’abord ce que vous avez fait pour cette région en 21 an ? Comment les kazakhstanais ont-ils pu ressentir votre attention, comment avez-vous contribué à l’amélioration de leur situation, y compris financière ? Et quelles sont des ambitions politiques et les intérêts économiques que votre fille ainée a dans cette région ?
Alexey Tikhonov : Merci beaucoup pour cette interview très intéressante. J’espère que nous pourrons reprendre cette discussion, surtout en ce qui concerne la contribution de Noursoultan Nazarbayev dans l’action destinée à « libérer la planète de la menace d’un holocauste nucléaire », d’après les termes d’un article paru dans le New York Times.