Le premier décembre 2012 pour la première fois de son histoire le Kazakhstan a fêté la Journée du premier Président du pays. Conférences, tables rondes, quizz et concours aux écoles consacrés à la vie de Noursoultan Nazarbaïev ont été placés sous la devise Une patrie. Un destin. Un leader. Le mot nourayonnement créé dans l’élan de fidélité par V. Nekhoroshev, ancien député du gouvernement, est devenu un des néologismes politiques des festivités. Car Nazarbaïev et comme l’air, il n’y en a jamais trop, comme a dit le sénateur de la ville d’Essime.
Dans le monde entier il n’y a pas de tsar égal à Noursoultan. La terre n’a pas connu de Kazakh plus courageux que lui, lisaient les enfants de tout le pays lors des lectures thématiques organisées à l’occasion de la Journée du premier Président. Les petits le comparent au héros téméraire des comptes populaires Baatyr. Les grands donnent son nom aux universités, aux écoles, aux parcs et à d’autres établissements, ils ouvrent ses musées et inaugurent ses monuments. Cette tendance à franchi les frontières du pays. Vous trouverez les rues Nazarbaïev dans des villes turques et jordaniennes et vous verrez sa face rayonnante sur les statues installées à Ankara et à Tcholpon-Ata, en Kirghizie.
Deux semaines après, la veille de la Journée de l’indépendance et du triste anniversaire des évènements à Zhanaozen et Shetp, le leader du plus grand pays de l’Asie Centrale a déclaré que le 21-ème siècle sera le siècle d’or au Kazakhstan. Notre but est de faire partie des 30 pays les plus développés du monde d’ici à 2050, a-t-il déclaré. Et pas un seul mot sur les victimes du 16 janvier de l’année dernière. Nazarbaïev, tout comme ses prédécesseurs soviétiques, essayait de convaincre les Kazakhs que le pays avait pris la bonne direction. Il a fait des pronostics pour 40 ans en avance. A l’époque Khrouchtchev promettait à tout le peuple soviétique le règne absolu du communisme vers les années 80. Le départ houleux de Khrouchtchev le Kolkhozien nous pousse à de certaines comparaisons. Les émeutes de la faim de cette époque à travers tout l’URSS et l’instabilité sociale même dans des régions riches grâce au pétrole comme le Kazakhstan de l’ouest. Et les mêmes mesures de la répression du mécontentement.
Un des plus grands représentants de l’opposition kazakhe Boulat Abilov a remarqué : Le Président du Kazakhstan croit qu’il est le messie et que lui seul a créé le pays. Actuellement le nourayonnement de Nazarbaïev ne peut être comparé au culte de la personnalité en Corée du Nord. Pourtant cette volonté de l’entourage présidentiel d’idolâtrer Nazarbaïev provoque la réaction opposée dans le milieu des Kazakhs instruits. Serikbolsyn Abdildin, ancien collègue du futur Président qui avait travaillé avec lui pendant 10 ans, confie que depuis la fin des années 80 Nazarbaïev a beaucoup changé. Mais déjà à cette époque-là il était avide de pouvoir, il voulait monter au piédestal du pays. Cela doit être inné : voler, s’approprier… Maintenant il est passionné par l’auto-publicité et son plan Superkhan. Il a perdu le sens de la mesure qui est très important pour tout être humain en général, mais surtout pour un dirigeant d’Etat, dit le chef de l’opposition kazakhe.
Ce fameux plan Superkhan n’a aucune perspective et ne peut qu’accélérer la disparition et la chute du régime autoritaire du Président. Ce plan peut, sans doute, provoquer des protestations contre le pouvoir des clans et contre le copinage tant apprécié par la famille et les proches du Président kazakh.
Evidemment, durant les 20 ans du pouvoir illimité le chef du pays s’est fait des ennemis même parmi ceux qui le soutenaient au départ. L’ancien beau-fils du Président est passé aux rangs des ennemis d’Etat. En ce même temps, l’autre beau-fils qui contrôlait tout le secteur pétrolier au lieu d’être puni pour le massacre de Zhanaozen n’a été que révoqué de son poste. La conclusion est évidente : le pouvoir kazakh est très sélectif quant au choix de coupables.
La chute des régimes en Asie centrale n’est qu’une question de temps. Le contexte est propice pour refaire ici Le Printemps arabe. Les régimes effrayés passent d’une extrémité à l’autre. Dans toutes les émeutes les dictateurs voient la main de l’Occident. Ce qui s’est passé à Andijan en 2005 et à Zhanaozen en 2011 montre très bien l’attitude des clans familiaux au pouvoir envers leur peuple. En mars 2002 en Kirghizie les gens ont été fusillés lors d’une manifestation paisible. 3 ans après la crise au sein du gouvernement kirghiz s’est terminée par la Révolution des tulipes.
Depuis 2007 Viktor Khrapounov, ancien Ministre des Situations d’urgence de Kazakhstan, Ministre de l’Energie et des Ressources naturelles du pays, ancien gouverneur de la région du Kazakhstan de l’Est, ancien Maire de la ville d’Almaty, vit avec son épouse en Suisse. De prime abord, son départ à Genève peut être considéré comme un départ à la retraite bien méritée.
Après des années de travail pour le secteur de l’énergie dans son Kazakhstan natal et au sein du gouvernement du pays, ce sexagénaire dynamique a bien mérité de passer plus de temps avec sa famille. Ses enfants vivent en Suisse depuis plus de 20 ans et ont déjà leurs propres familles.
Le déménagement des membres de la famille Khrapounov en Suisse et leur obtention de statut de résidents n’ont posé aucun problème aux pouvoirs suisses.
Le déménagement des membres de la famille Khrapounov en Suisse et leur obtention de statut de résidents n’ont posé aucun problème aux pouvoirs suisses. Cette famille nombreuse a recommencé sa vie en Europe. En 2012 les Khrapounov et les Genevois ont été désagréablement surpris en apprenant qu’Interpol avait lancé un avis de recherche international contre Victor et Leïla Khrapounov. Ils sont recherchés par leur ancienne patrie. Le Kazakhstan les accuse du blanchiment d’argent et de la participation active aux groupes criminels internationaux.
Le Kazakhstan et la Suisse n’ont pas signé d’accord de réadmission (extradition de criminels) et pour arrêter les Khrapounov les pouvoirs kazakhs ont besoin de déposer une demande d’aide juridique. Le représentant du Ministère de la Justice suisse (Bundesamt für Justiz) confirme que cette demande a bien été reçue.
Mais pour arrêter et extrader les Khrapounov les pouvoirs suisses ont besoin d’avoir d’avantage d’arguments officiels.
La Suisse se demande notamment comment une personne qui était arrivée dans le pays il y a plusieurs années et qui avait fourni tous les justificatifs d’identité, de ressources et de sa réputation irréprochable (c’est LA condition pour devenir résident en Suisse) peut être maintenant recherchée par les pouvoirs kazakhs et accusée de pires crimes ?
En outre, les pouvoirs suisses ne peuvent extrader les suspects que s’ils ont commis les crimes punis par la Loi suisse. La situation est plus que compliquée : le Kazakhstan veut les Khrapounov morts ou vifs, la Suisse ne peut pas les extrader sans raisons valables. Notre correspondant a rencontré Leïla et Viktor Khrapounov à Genève pour avoir plus de détails de cette affaire.
– Interpol a émis un avis de recherche international contre vous et votre épouse. Que vous est-il incriminé par le Kazakhstan ?
Viktor Khrapounov : – Aucun organisme officiel ne m’avait informé de l’ouverture des procès criminels contre moi. J’en ai vaguement entendu parler dans les média. Et là j’apprends qu’un avis de recherche est lancé contre moi ! Le régime kazakh veut punir tous ceux qui ont lancé le défi. Nous étions les premiers à quitter le pays, car il nous était impossible de continuer à supporter tous les caprices de la famille Nazarbaïev.
Je sers mon peuple ! Et j’essayais toujours d’être objectif.
Mais quand toute la famille Nazarbaïev, y compris les petits-fils, a voulu me manipuler et me mettre à son service, j’ai refusé. Maintenant ma famille se retrouve au cœur d’une affaire politique complètement fabriquée.
Leïla Khrapounova : – Interpol a lancé un avis de recherche contre moi 5 jours après l’ouverture de mon site (www.leila-khrapunova.com) où j’avais raconté l’histoire de ma vie et de toute la famille. Ma famille a souffert pour ses principes et ses droits.
– Pourquoi êtes-vous recherchés par le Kazakhstan officiel ?
Leila Khrapounova : – Avant cet avis de recherche je n’ai eu aucun souci avec le gouvernement kazakh. Dorénavant je suis présentée comme une personne qui fuit la justice. Pourtant je n’en avais aucune intention ! Tout simplement je me suis réveillée un jour et ai vu dans les journaux officiels mes photos qui étaient signée escroc ou encore membre du groupe criminel familial. Je considère que je suis devenue victime pour la liberté de la parole quand j’avais commencé à m’exprimer ouvertement contre le pouvoir actuel. Ce geste du gouvernement peut être considéré comme l’immoralité et l’abus de pouvoir.
– Avez-vous des preuves de la pression informelle de la part du Kazakhstan ?
Victor Khrapounov : – En 2010 les messagers de Nazarbaïev sont venus me voir en Suisse. Ils m’ont annoncé que le départ de ma famille avait été très mal vu par le Président. J’ai répondu que je ne comptais pas accepter cette situation et que je continuerais à défendre mes proches par tous les moyens possibles. J’ai reçu un appel du Secrétaire d’Etat de Kazakhstan qui m’a dit : Tu dois rentrer dans le pays. Attends la décision officielle. J’ai parlé à beaucoup de fonctionnaires et ils insistaient tous sur mon retour au Kazakhstan.
On m’a dit que mon départ à l’étranger nuisait l’image du Président Nazarbaïev. J’ai été dans la politique et maintenant mon ancien travail se retourne contre moi.
– Vous faisiez partie du système politique, de l’élite kazakhe pendant des années. Vous sentez-vous responsable des conséquences ?
Victor Khrapounov : – J’ai intégré le pouvoir kazakh bien avant ma connaissance avec N. Nazarbaïev.
Je considère que ce qui arrive au Kazakhstan est la faute de l’ancien et de l’actuel entourage de Nazarbaïev, mais aussi la mienne en quelque sorte. Nous l’avons laissé faire. Le pays a légalisé le culte de la personnalité de Nazarbaïev. Aujourd’hui la Loi le protège et libère de toute responsabilité. Personne n’a le droit de le critiquer.
Je ne supportais pas cette idéologie qui est appliquée pour faire plaisir à Nazarbaïev. Pendant la période la plus dure pour le pays j’ai été nommé Ministre de l’Energie. Ensuite la privatisation a commencé. Le nom du privatiseur était évident. Et pour que je ne dérange pas, j’ai été muté à Almaty où ce processus avait déjà été terminé. La ville cherchait un manager de transition.
Leïla Khrapounova : – Vous avez probablement entendu que le Kazakhstan a changé du Premier Ministre. Le conseiller gouvernemental chargé de l’idéologie a déclaré que le temps était venu pour nommer le Premier ministre technique. Son prédécesseur remplissait plutôt les fonctions du caissier personnel.
Le Kazakhstan a deux faces : l’économie en plein essor et le domaine social délaissé. Viktor Khrapounov travaillait dans le domaine social, il travaillait directement avec les gens, il maitrisait les sujets vitaux. Mais il ne collaborait pas avec le régime.
– Quel est l’avenir du Kazakhstan à votre avis ?
Leïla Khrapounova : – Les richesses de la famille Nazarbaïev ne cesseront de croître, la moralité continuera à baisser. La seule perspective pour les jeunes est le travail pour la famille du Président. La sphère sociale ne pourra pas être développée rapidement, car elle a été trop délaissée. Il suffit de faire 60 km et vous éloigner de grandes mégapoles pour voir que les villes sont dans un état catastrophique comme après la bataille de Stalingrad. La population rurale n’a pas de travail. Ces problèmes ne peuvent pas être résolus rapidement, mais l’on peut en donner l’impression. L’économie a été privatisée par les mêmes personnes. Actuellement elle n’a pas de réserves, ni de potentiel. Nazarbaïev verra que pour que le système remarche il faudra tout nationaliser et faire servir aux intérêts du peuple.
– Votre famille est considérée comme très riche. D’après les experts votre fortune personnelle s’élève à 300-400 millions de francs suisses. D’où provient-elle ?
Leïla Khrapounova : – En 1990 j’ai créé ma première entreprise, la compagnie de télévision TAN. Je gagnais de l’argent petit à petit en développant ma société. Ensuite je travaillais dans le commerce, après je me suis occupée de magasins de vêtement de luxe et d’accessoires. Plus tard j’ai créé la chaîne de joailleries. Je respectais toujours la Loi en m’acquittant de mes impôts. J’ai gardé toutes les preuves. Et au moment où mes sociétés ont commencé à rapporter de l’argent, elles ont toutes étaient confisquée.
La Suisse est un pays très riche. En comparaison avec d’autres Genevois aisés, nous avons les moyens. Mais nous n’avons pas les centaines de millions comme on dit. Curieux, mais quand nous étions au Kazakhstan nous n’étions pas considérés comme des riches, pour cela il a suffi juste de déménager en Suisse. Peut-être parce que le Kazakhstan est plus riche que la Suisse ? (rire – NDLA)
– Que fait la famille Khrapounov en Suisse ? Politique, lutte contre le système, business ?
Leïla Khrapounova : – En fait, nous sommes en retraite. Nous voulions voyager un peu, faire un tour en Europe. Mais comme nous sommes recherchés par Interpol… Nous avons pensé à étudier l’histoire de l’économie kazakhe moderne, travailler sur les demandes en justice contre la famille Nazarbaïev. Nous devons être persuasifs, apprendre la Loi. Le régime doit assumer ses responsabilités. Notre prise de position est notre contribution pour le développement de la démocratie dans le monde entier.
– Si vous croisez vos anciens collègues à Genève, leur direz-vous bonjour ?
Leïla Khrapounova : – Ce genre de rencontres arrive. Dans une station de skis nous avons croisé une personne de la famille Nazarbaïev. Elle m’a demandé : Qu’est-ce qu’on fait ? Je lui ai répondu : On se dit bonjour, peut-être ?
Viktor Khrapounov : – Quant aux Suisses, ceux que j’ai rencontrés étaient très aimables. Une fois nous sommes allés au restaurant. Un homme est venu nous donner ses coordonnées et proposer son aide. Au début les Kazakhs nous soutenaient beaucoup, cela a changé ces derniers temps. Ils n’ont même plus le droit de me parler au téléphone.
– Qu’aimez-vous en Suisse ?
Leïla Khrapounova : – Les trois premières années sont les plus dures pour tout immigré. Votre pays vous manque. De l’autre côté, vous espérez que le pays vous assurera la protection et le bon avenir. Nous aimons la Suisse. En 1993 nous lui avons confié nos enfants. Le seul bémol est le manque de soleil. En ce qui concerne les gens: une fois j’ai été obligée d’annuler mon rendez-vous chez le médecin, tout en sachant que son planning était toujours rempli 6 mois en avance. Ce n’était pas évident pour lui, mais il l’a fait et a demandé comment il pouvait m’aider. Plus tard il m’a rappelée pour donner les coordonnées nécessaires. J’ai senti qu’ici les gens avaient de la compassion. Les Suisses ont réussi à garder ce côté humain qui a été perdu par beaucoup de Kazakhs.
– Quelle est la position des pouvoirs suisses vis-à-vis l’avis de recherche contre vous ? Peuvent-ils vous accorder l’asile politique ?
Leïla Khrapounova : – Nous sommes sous la protection des avocats très attentionnés. Ce qui me chagrine c’est l’absence de réponse concrète concernant notre demande de l’asile politique que nous attendons depuis plus d’un an. Cela aggrave la situation. Nous ne pouvons plus nous occuper de la politique, ne pouvons plus travailler avec l’opposition. Et les Kazakhs pensent que nous sommes des voleurs partis de leur pays pour vivre à notre guise.
– Vous avez l’air très dynamique tous les deux. Quels sont vos projets ?
Leïla Khrapounova : – Si nous obtenons le statut des réfugiés politiques, nous continuerons l’auto-formation dans le domaine de la protection des droits et des libertés. Il faut constamment mettre à jour ses connaissances. Quand la dictature disparaîtra au Kazakhstan, quand le pouvoir pour le peuple s’y installera, nos connaissances seront utiles.