Selon les pronostics de Victor Khrapounov, la bataille pour le pouvoir confrontera les « chaprachtins », enfants du premier mariage du « leader national », et les anciens ministres des Affaires étrangères.
Alexeï TIKHONOV
« Aujourd’hui la situation est la suivante. Nous avons le clan N°1 qui est celui de Nazarbaïev, descendant de la famille Chaprachty. Le clan N°2 est celui de Sara Alpysovna, sa première épouse, et de ses enfants du premier mariage, – dit l’ancien maire d’Almaty Victor Khrapounov à notre journaliste. Il y a également les anciens Ministres des Affaires étrangères et les collaborateurs actuels de ce Ministère chargés d’améliorer l’image du Kazakhstan et, par conséquent, du Président. Ce sont tous les acteurs de la lutte pour le pouvoir. » D’après l’ancien Ministre des Situations d’urgences, la bataille sera féroce et les remaniements au sein des forces publiques ne se feront pas attendre.
Victor KHRAPOUNOV : « La bataille pour le pouvoir confrontera les « chaprachtins », enfants de Nazarbaïev, et les anciens Ministres des Affaires étrangères ».
Victor Khrapounov a commenté les derniers remaniements au sein du gouvernement et a noté que le pouvoir actuel était majoritairement représenté par les descendants du clan Chaprachty ce que ne plaisait pas aux leaders d’autres groupements. Il pense que quelques clans formés récemment à Astana envisagent déjà la victoire après le départ éventuel de Noursoultan Nazarbaïev de l’échiquier politique. Le pays est gouverné par les « gens du Sud ». Une vague de remaniements et de changements structuraux a eu lieu en début de cette année. Pour mieux comprendre les dernières décisions de Noursoultan Nazarbaïev, nous avons demandé Victor Khrapounov de commenter la situation.
Victor Viatcheslavovitch, pourriez-vous commenter les derniers remaniements au sein du gouvernement kazakh ? Quelle importance ont-ils pour le développement politique du pays ?
– Je pense que depuis cette vingtaine d’année où Nazarbaïev se trouve au pouvoir au Kazakhstan, on aurait pu mettre en place une certaine structure et aller pleinement de l’avant en plaçant l’Homme au cœur de tout, comme la Constitution le stipule.
Mais en voyant tout ce qui se passe aujourd’hui au Kazakhstan, je constate que plusieurs groupes financiers et les clans du pays exercent une influence énorme sur le Président. Ce dernier ne fait qu’accepter les propositions de tel ou tel groupement, probablement pour les raisons d’âge, de santé ou d’autres. Nous avons tous pu remarquer qu’au sein du gouvernement il y avait des personnes recommandées par des groupes financiers kazakhs. Je ne veux pas mentionner les noms, leur liste peut être bien longue.
De quels clans parlons-nous exactement?
– Je pense que le clan le plus important aujourd’hui est celui de Nazarbaïev. C’est le groupement du Sud, la famille peu nombreuse de Chaprachty qui détient les postes-clés au sein du gouvernement kazakh. Vous pouvez constater cette imparité : famille peu nombreuse avec la quantité très importante de postes-clés.
Les représentants de quel clan sont majoritaires au gouvernement ?
– J’avais étudié la composition du Cabinet de ministres, elle est repartie de la manière suivante : 13 ministres appartiennent au clan du Sud, 3 ministres sont originaires de la région de Karaganda où le Président avait travaillé à une époque, et uniquement le ministre de la Défense Zhaksylbekov vient de la région de Kostanaï. Mais il est juste été né là-bas, le reste du temps il a passé aux côtés du Président et est devenu un vrai Chaprachty.
Revenons aux derniers remaniements…
– Je pense que ces remaniements sont dus à Bakhytzhan Sagintaev très proche du Président Nazarbaïev. Le Ministère du Développement régional a été créé spécialement pour lui…
A votre avis, la création de ce genre de ministère n’avait aucune utilité pour le développement du pays ?
– Jugez par vous-mêmes. Kazakhstan compte 16 régions : 14 régions et 2 grandes villes qui ont une importance nationale. Il existe déjà le Ministère de l’Economie et de la Gestion budgétaire et le Ministère des Finances, il y a le Premier Ministre. Ces trois instances avec les chefs des régions concernées s’occupent de toutes les questions relatives au développement régional.
Aujourd’hui le Vice-Premier ministre qui est Ministre du Développement régional peut s’ingérer dans les affaires du Ministre des Finances, du Ministre de l’Economie et empêcher directement ou indirectement le Premier Ministre de travailler dans cette direction. « Diviser pour régner », telle est la politique de Nazarbaïev !
Même si le Premier-Ministre vient lui aussi de Karaganda et est très proche du Président, le Chef de l’Etat créé l’ambiance de discorde. Je suis fortement persuadé que ce Ministère et le poste de Vice-Premier Ministre aient étés créés spécialement pour cette personne. Chacun veut sa part du gâteau.
De quels clans parlons-nous également ?
– Je pense que les deux autres clans au Kazakhstan étaient le clan de Dariga Nazarbaïeva à l’époque où elle était mariée à Rakhat Aliev et le clan de Timour Koulibaev.
Ensuite Dariga avait témoigné contre Rakhat Aliev et depuis les deux clans se sont fusionnés. L’ancienne épouse du Président Sara Nazarbaïeva, Dariga Nazarbaïeva, Timour Koulibaev et beaucoup d’autres personnes se sont réunis aujourd’hui car ils sont tous très impatients d’ « hériter » le pouvoir au Kazakhstan. Ils songent déjà à continuer le développement démocratique du pays et à démocratiser tous les procédés.
Les discours de Dariga au Parlement sont très osés, elle polémique avec les chefs des Ministères et d’autres services en exposant ses opinions factieuses, etc. La première famille du Président et ses enfants nés dans ce mariage s’activent !
Et j’en comprends la raison. Ils sont vexés. Actuellement Nazarbaïev tente de renforcer sa dernière famille où il a deux héritiers légitimes qu’il veut faire entrer dans l’arène politique. Peut-être, pense-t-il à léguer le pouvoir au moins à son fils aîné ?
Quels sont les intérêts d’autres groupements au Kazakhstan?
– A ma grande surprise un autre groupement a vu le jour. Ses membres s’occupaient de la politique étrangère du pays, ce sont des anciens Ministres des Affaires étrangères.
Regardez, Tokaïev, Idrissov, Saüdbaev et Tazhine, ils occupaient tous le poste du Ministre des Affaires étrangères. Quant à Abykaev, il était Vice-Ministre des Affaires étrangères.
Leur travail au sein du Ministère a énormément contribué à l’amélioration de l’image du Kazakhstan aux yeux de la communauté internationale. Ils présentaient Nazarbaïev comme « une fille à marier » qui n’a pas encore fait son choix. D’ailleurs, récemment l’Ambassade de Kazakhstan a été ouverte en Suède, avant ce pays ne bénéficiait pas de couverture exclusive diplomatique. J’y vois la volonté du Ministère des Affaires étrangères de continuer leur travail pour que Nazarbaïev se voie décerner le Prix Nobel de la Paix.
Bien sûr, l’apport de toutes ces personnes est incontestable. Je peux vous donner l’exemple de Saüdbaev lors de son mandat aux Etats-Unis. A cette époque-là, j’ai eu l’occasion d’y aller deux fois et d’assister à ses rencontres avec les Sénateurs et les Membres du Congrès. Il se déplaçait régulièrement dans des régions afin d’expliquer la situation au Kazakhstan pour améliorer l’image du pays aux USA, surtout en matière du « Kazakhgate ».
Et le problème du « Kazakhgate » a bien été réglé !
– Oui. Et alors, en 2006 où cette question avait pratiquement été réglée, Karim Massimov a fait une manœuvre inattendue. En 2007 il devance tout le monde, obtient le poste du Premier Ministre et devient très proche de Nazarbaïev pour de longues années. A mon avis, cette exaltation dans des conditions actuelles peut avoir des conséquences très graves. Massimov rêve du pouvoir réel.
D’où vient votre attitude négative à l’égard de Karim Massimov ? C’est un manager doué au bon parcours…
– Parce qu’il n’existe pas d’ex-KGBistes. D’ailleurs, il est né en République Populaire de Chine dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Il a la nationalité ouïghoure. J’ai vu son carnet de santé au 4ème département du Ministère de la Santé du Kazakhstan.
Karim Massimov a créé son groupe indépendant ou il fait partie de ceux qui existent déjà ?
– Massimov est proche du Président, proche de Timour et de tous ceux qui ont le pouvoir. Il a acquis un certain standing quand il occupait le poste du Premier Ministre. Il a de très bons contacts en Russie, en Chine, aux Etats-Unis. Karim Massimov compte bien être au pouvoir au Kazakhstan.
A mon avis, dans cette situation le Président devrait penser à la candidature d’Imangali Tasmagambetov qui pourrait contrebalancer celle de Karim Massimov. Tasmagambetov est en très bons termes avec tous les membres de la famille Nazarbaïev : avec sa première épouse, ses enfants, Timour Koulibaev, dernière femme du Présidents. En effet, il est en bonnes relations avec tout le monde, mais il soutient des idées nationalistes. Cela peut avoir des conséquences graves.
Et pour résumer notre conversation sur les clans…
– Aujourd’hui la situation est la suivante. Nous avons le clan N°1 qui est celui de Nazarbaïev, descendant de la famille Chaprachty. Le clan N°2 est celui de Sara Alpysovna, sa première épouse, et de ses enfants du premier mariage. Il y a également les anciens Ministres des Affaires étrangères et les collaborateurs actuels de ce Ministère chargés d’améliorer l’image du Kazakhstan et, par conséquent, celle du Président. Ce sont tous les acteurs de la lutte pour le pouvoir.
Cela veut dire que pour l’instant, il n’y a pas de successeur définitif parmi tous ces candidats à la succession ?
– Récemment les informations fort intéressantes ont attiré mon attention. Le premier adjoint au chef des Services de sécurité présidentielle aurait démissionné pour pouvoir gérer sa propre structure. Mais pourquoi ? Si l’état de santé de Nazarbaïev est inquiétant, il se peut que demain il ne puisse pas exercer ses fonctions présidentielles pour des raisons de santé. Il est important de savoir qui sera à ses côtés à ce moment-là. Qui annoncera sa maladie et son incapacité de faire un discours ou de signer des documents, etc.? C’est cette même personne qui pourra obtenir la signature de Nazarbaïev sur le décret portant la nomination à la tête du Sénat de la personne qui arrange tel ou tel clan. Ce décret sera publié, la candidature sera approuvée à l’assemblée du Sénat, et tout le monde apprendra que Nazarbaïev ne peut plus remplir ses fonctions du Chef d’Etat.
Remarque
Si vous vous souvenez, Rakhat Aliev racontait dans son livre que Noursoultan Nazarbaïev avait été invité à un anniversaire. A la fin de la fête l’on a ramené une boîte avec un gâteau. Cette boîte contenait une bombe qui n’a pas explosé. Cet incident a changé l’attitude de Nazarbaïev envers la vie d’une manière radicale. Par la suite, il déléguait le règlement de tout litige aux autres et évitait tout genre de conflits.
Cela veut dire que toute décision pourra être prise uniquement au niveau gouvernemental et que le peuple kazakh en sera informé a posteriori ?
– Avant l’annonce officielle tout sera mis en bonne et due forme du point de vue juridique. Des rumeurs courent sur Akhmetzhan Essimov qui devrait être nommé à la tête du Sénat kazakh, et sur Kaïrat Mami qui occuperait le poste du Chef de la Cour suprême ou même du Procureur de la République. Cela signifie que les gens qui influencent directement la vie au Kazakhstan ont commencé à faire leurs propositions.
Nous nous demandions si l’ancien Premier Ministre britannique Tony Blair faisait partie de ces gens-là ?
– Comme tout le monde le sait, Tony Blair a occupé le poste de conseiller de Nazarbaïev pendant un an. Son contrat a été renouvelé et sa rémunération a quasiment doublé. Il a été invité par le gouvernement kazakh afin de commencer le travail sur la démocratisation de la société, la liberté d’expression, la liberté d’information, etc. Le peuple kazakh attend toujours les résultats.
Je rappellerais à Nazarbaïev que Tony Blair a habilement entraîné la Grande-Bretagne dans le conflit irakien, en fournissant au Parlement de fausses informations sur les armes de destruction massive qui auraient été trouvées en Irak. Aujourd’hui la communauté internationale a poussé Gordon Brown à créer une commission ad hoc devant laquelle Tony Blair a déjà comparu à plusieurs reprises. Un autre point important : Tony Blair était conseiller du colonel Kadhafi. Nous connaissons tous la situation actuelle en Lybie. J’aimerais parler également de Margareth Thatcher. Quand Tony Blair avait été élu à la tête du Parti travailliste, elle a dit que celui-ci était un des plus dangereux du Labour britannique. Thatcher a vu tout de suite la menace pour la Grande-Bretagne émanant de Tony Blair. Et pourtant à l’époque, Margaret Thatcher soutenait le Président Nazarbaïev. Avec la croissance de l’autoritarisme au Kazakhstan, elle a changé d’avis…
Je conseillerais à Nazarbaïev de résilier le contrat de conseiller d’Etat avec Tony Blair dont la rémunération excessive n’est pas justifiée. Il serait judicieux de signer un autre contrat avec un autre Président… Je vois très bien Nicolas Sarkozy remplir ces fonctions. Ou Condoleezza Rice. Pourquoi pas ?
L’essentiel est de fixer les objectifs, poser des questions politiques. Ensuite conformément à la Loi, Monsieur le Président peut très bien devenir chef national, comme Khomeini en Iran, mais qu’il invite un bon gestionnaire capable de régler l’économie et de travailler pour le résultat final, pour la prospérité des citoyens kazakhs, et non seulement d’un clan.
Ai-je tout bien compris ? Vous proposez d’embaucher un des hommes politiques de renommée internationale pour le poste du Président ?!
– Exactement. Il serait judicieux de proposer à Noursoultan Nazarbaïev de nommer le Président pour la période de transition comme cela était le cas de Rosa Otounbaïeva au Kirghizstan. Quand les changements sont devenus évidents et l’autoritarisme n’était plus envisageable, Rosa Otounbaïeva a quitté ce poste pour laisser la société se développer selon le modèle démocratique. Pourquoi ne pas proposer cette solution au Président Nazarbaïev ?
Résumons tout ce qui a été dit. Les tentatives de changements au sein du gouvernement sont destinées à assurer la continuité du pouvoir, d’un côté, et à trouver un candidat à la succession, de l’autre. Les clans dont vous avez parlés ont leurs propres intérêts cachés dans cette lutte.
– Vous avez tout à fait raison. C’est ma vision de ce qui pourrait se passer au Kazakhstan. Mes propos sur les changements à faire et les actions à entreprendre peuvent être considérés comme subversifs par certain. Le gouvernement kazakh n’est pas capable de répondre aux questions relatives au développement du pays et embauche les personnes qui ne correspondent ni aux critères, ni aux attentes de la société. Cela signifie qu’il faut chercher d’autres solutions et d’autres approches. A mon avis, les modifications et les remaniements qui ont eu lieu en début de cette année ne sont pas encore définitifs. Les changements au sein des structures militaires sont à venir. Il ne faut pas être grand clerc pour le comprendre.