Le lobbying kazakh est plus actif que ce qu’on en savait à ce jour. Outre l’ancien ambassadeur Thomas Borer, l’agence PR Burson-Marsteller a elle aussi reçu un mandat d’un politicien kazakh peu transparent.
Un politicien kazakh a payé plus de 7000 francs pour une intervention parlementaire au Conseil national. Le texte été conçu par la société de PR Burson-Marsteller, puis son contenu a été abondamment retravaillé au Kazakhstan et, le 21 juin 2013, il a été présenté par la conseillère nationale bernoise Christa Markwalder (PLR).
Le fait que des motions soient rédigées par des lobbyistes est banal. Ce qui est moins banal, c’est lorsque les commanditaires proviennent d’Etats autoritaires. Et on ne se souvient guère que le prix d’une telle intervention ait été rendu public. La NZZ a en main le décompte du 26 juin 2013, dans lequel la société Burson-Marsteller énumère ses prestations sous le titre « Interpellation Markwalder » : « Projet de texte ; rencontre avec la parlementaire CM [pour Christa Markwalder] ; traduction et livraison au client ; plusieurs remaniements (selon feedback du client et de la parlementaire CM ; rédaction définitive du texte. » Total : 7188 francs et 48 centimes.
Les mails des lobbyistes sur Internet
L’interpellation est un élément d’un plan d’action PR plus vaste que la filiale suisse de l’agence de communication d’envergure mondiale Burson-Marsteller a réalisé pour le parti kazakh Ak Schol. Les détails de ce mandat ont été désormais mis au jour par le biais des courriels que des inconnus ont mis en ligne. Il s’agit de la même banque de données qui a déjà publié le mandat de Thomas Borer. Tandis que Borer travaillait pour le gouvernement kazakh, le mandant de Burson-Marsteller se nomme Asat Perouachev. Il est le chef du parti Ak Schol, un parti qui, à l’Occident, se présente comme l’opposition mais qui est en réalité proche du régime (voir encadré).
L’affaire a débuté il y a deux ans. En février 2013 se déroule une rencontre entre Peruachev et Marie-Louise Baumann, longtemps directrice Public Affairs et aujourd’hui Senior Advisor chez Burson-Marsteller (Suisse). Elle a travaillé naguère pour le secrétariat général du Parti radical-démocratique et pour la Chancellerie fédérale. Elle dispose d’un bon réseau à Berne. Il ressort des courriels que Perouachev espérait d’elle un accès aux politiciens.
Bien qu’il se fasse passer pour un opposant, son objectif principal semble être d’améliorer l’image de son pays auprès des leaders d’opinion suisses. Le prétendu opposant tient surtout à l’extradition de l’exilé kazakh Viktor Khrapounov qui, depuis Genève, dénonce les conditions qui règnent au Kazakhstan et qui est recherché par la justice kazakhe.
Les droits de l’homme en question
A côté d’autres activités, Marie-Louise Baumann a organisé pour Perouachev deux visites au Palais fédéral, en mars 2013 et juin 2014. Elle a, les deux fois, rameuté une poignée de parlementaires de divers partis, devant lesquels Perouachev a pu présenter lui-même, son parti et son pays. Christa Markwalder était présente à la première réunion, au terme de laquelle, selon l’élue, Baumann lui a proposé une interpellation. « Comme Perouachev s’est présenté de manière crédible en tant qu’opposition libérale qui se mobilise pour la liberté économique, contre la corruption et pour les droits de l’homme, il me semblait digne de soutien. »
C’est ainsi que Baumann a esquissé une interpellation dans laquelle le Conseil fédéral se voit demander dans quelle mesure il soutient le « processus de démocratisation » au Kazakhstan. Dans le projet, la notion de droits de l’homme apparaît aussi trois fois. Baumann fait ensuite traduire ce texte et l’envoie au Kazakhstan. Là-bas, il n’a pas soulevé l’enthousiasme. Un traducteur de Parouachev demande le 14 juin 2013 à Baumann de biffer les droits de l’homme, car cette notion « pourrait causer du tort au statut politique de Perouachev au Kazakhstan », selon les termes du traducteur. Si la notion n’est pas supprimée, il faudrait éventuellement renoncer à l’interpellation. Dans un autre courriel, le traducteur demande qu’en revanche on mentionne dans l’interpellation le parti Ak Schol.
« Le but suprême »
Marie-Louise Baumann tranquillise les Kazakhs ce même 14 juin, affirmant que Christa Markwalder est d’accord avec les suppressions, « car les droits de l’homme sont une sorte d’expression émotionnelle », écrit-elle. « Ce n’est pas juste, elle m’attribue ces mots », proteste Markwalder. Dans la version finale de l’interpellation, les droits de l’homme n’apparaissent plus, tandis qu’Ak Schol est mentionné sur un ton positif. L’interpellation demande en outre au Conseil fédéral dans quelle mesure le cas Khrapounov affecte les relations avec le Kazakhstan. La mention de ce dernier était même « l’objectif suprême » (« the ultimate goal ») des Kazakhs, comme ils l’ont fait savoir précédemment à Baumann. Markwalder assure que Baumann le lui a caché.
Par ailleurs, Baumann a rédigé trois questions à propos du Kazakhstan que Christa Markwalder a transmises à la Commission des affaires étrangères. Leur énoncé a également été revu par les Kazakhs, ce que Markwalder, à ses dires, ignorait aussi. Désignée présidente du Conseil national pour 2016, Christa Markwalder affirme être « choquée que Baumann ait discuté chaque détail avec les Kazakhs sans me le faire savoir. Il ne se peut tout de même pas que quelqu’un encaisse de l’argent quand je dépose une interpellation qui vise à améliorer les relations entre la Suisse et le Kazakhstan. »
Marie-Louise Baumann affirme que, rétrospectivement, elle aurait certainement dû se montrer « plus méfiante » à l’endroit de Perouachev. Il lui avait paru crédible qu’il veuille modifier pas à pas les conditions dans son pays.
Elle ne se serait pas laisser mobiliser par le gouvernement. Commentaire des circonstances de l’interpellation : « Je ne crois pas que Christa Markwalder savait que nous avions retiré la notion de droits de l’homme à la demande des Kazakhs. » Pour le reste, la partie kazakhe aurait mis un terme au mandat le 29 avril 2015, sans motiver la mesure. Au total, Burson-Marsteller aurait facturé quelque 150’000 francs pour un mandat d’une durée de plus de deux ans.
Le pseudo-parti d’opposition qui embobine les politiciens suisses
Le parti Ak Schol, qui se présente face aux politiciens suisses comme une opposition libérale, est très fidèle au régime. Une simple recherche Google permet de dénicher des informations de think-tanks internationaux et de médias qui décrivent Ak Schol comme une pseudo-opposition. Le chef du parti Asat Perouachev est un proche de Timour Koulibaïev, le gendre du chef de l’Etat Nazarbaïev. Plusieurs courriels évoquent le fait que Perouachev aurait même pu discuter avec Koulibaïev les actions de lobbying à entreprendre à Berne. Dans un courriel envoyé du compte de Perouachev le 15 juin 2013, il est demandé qu’une personne aux initiales T. A. donne son feu vert à l’interpellation Markwalder : T. A. sont les initiales des prénoms de Koulibaïev. Si T. A. représente bel et bien Koulibaïev – il n’y a pas de preuves mais des indices – la famille du dictateur aurait piloté l’interpellation elle même.
Même si une interpellation est un instrument plutôt modeste, la mention explicite d’Ak Schol reste une pièce du puzzle pour construire aux yeux de l’Occident une façade de multipartisme. Il ressort des courriels que Burson-Marsteller édifiait au départ de la Suisse un « Public Affairs Effort » de dimension européenne pour le compte d’Ak Schol.
La source: NZZ.ch
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