Chaque fonctionnaire de l’équipe du président du Kazakhstan doit bien comprendre: on le vendra au moment-même où ce sera nécessaire et convenable pour Nursultan Nazarbayev, comme Viktor Khrapunov l’a dénoncé lors de son interview à «K-plus».
Viktor Vyacheslavovich, vous avez travaillé plusieurs années côte à côte avec Nursultan Nazarbayev. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur sa personnalité? Par exemple, aujourd’hui, la situation au Kazakhstan rappelle les événements à l’URSS des années 50 quand toutes les craintes du dictateur se sont concentrées sur son entourage. Qu’en pensez-vous?
– Je peux affirmer que Nursultan Nazarbayev, le président actuel du Kazakhstan, est une personne très prudente. Probablement, c’est la vie qui l’oblige d’être comme cela. Certains détails de sa biographie nous font le croire. Je dirais que Nursultan Nazarbayev a deux instincts basiques bien prononcés, celui de conservation et celui de procréation. Lui, comme n’importe quelle autre personne, a ces deux instincts bien présents. L’instinct de conservation est peut-être lié avec son enfance la plus tendre quand il fallait survivre. Et quand fatidiquement, grâce à Poltoranin1, il est devenu tout d’abord secrétaire du comité régional2, ensuite le deuxième secrétaire du comité régional de la partie et ensuite secrétaire de la Partie Communiste du Kazakhstan, cela représentait un énorme progrès dans une carrière. Et il devait tout cela à Monsieur Dinmukhamed Akhmetovich Kunayev 3.
Il ne l’a jamais caché, il disait toujours qu’il devait tout à cette personne qui l’avait pris par la main et l’avait fait passer en évitant beaucoup de difficultés dans la carrière que n’importe quelle autre personne devrait traverser. Normalement, avant de devenir Secrétaire du Comité Central, elle aurait dû déjà avoir travaillé comme le premier secrétaire du comité régional de la partie, avoir déjà passé toutes les positions des chefs des unités du Comité Central de la partie. Et c’est uniquement après qu’il aurait pu devenir secrétaire de la Partie Communiste du Kazakhstan.
Etant encore le maire d’Almaty, j’ai rencontré les gens qui avaient travaillé avec Kunayev et avaient vu quand Monsieur Nazarbayev avait apparu dans son équipe et à quoi il ressemblait à cette époque-là. L’un d’eux m’a dit: «Monsieur le maire, je vous prie… Je suis la seule personne restante qui a vu toutes les humiliations de Nazarbayev devant Kunayev. Si l’on veut une image, j’ai vu comment il léchait ses bottes. Ne m’invitez pas aux rencontres avec Nazarbayev.
Tous les témoins des humiliations de Nazarbayev par rapport à son chef ne sont plus là. Il ne reste que moi. Il me verra, me reconnaîtra et ce sera la fin pour moi. Ne m’invitez pas».
C’est pourquoi les craintes qui assaillissent actuellement Monsieur Nazarbayev ont des racines très profondes.
– Et comment l’histoire avec cette personne dont vous avez parlé a-t-elle fini ?
– Je ne l’ai jamais invitée aux rencontres avec Nazarbayev même si je devais le faire à titre d’office. A vrai dire, comme un être humain j’avais pitié pour elle. Je ne sais pas comme aujourd’hui, mais l’année passée, elle vivait toujours à Almaty. A présent, j’ai perdu tout contact avec elle donc je ne sais pas si elle est vivante ou pas…
– Avez-vous encore des informations sur les personnes qui entouraient Nursultan Abishevich à l’époque des débuts de sa carrière? Où sont-elles actuellement?
– Même si on regarde le parlement indépendant du Kazakhstan de la 12ème convocation dont j’étais député, cela était un vrai parlement indépendant, il y avait des députés avec leurs propres opinions, avec des visions concrètes sur des problèmes et des solutions. Nazarbayev avait très peur de ce parlement, et grâce à mon aide aussi ce parlement a cessé d’exister, s’est démis de son mandat.
Serikbolsyn Abdildin4, l’ancien leader de la Partie Communiste du Kazakhstan était fermement persuadé que le pays devrait être une république parlementaire mais cela prenait le contre-pied de la politique de Nazarbayev qui cherchait à accéder au pouvoir présidentiel. Mieux encore, non seulement au pouvoir présidentiel mais au pouvoir d’un seul leader sans le partager avec personne. Et ces personnes qui étaient à ses côtés… Par exemple, Serikbolsyn Abdildin, vous savez où il est aujourd’hui.
Après cela, c’était Marat Ospanov5 qui a pris la tête du parlement. C’était aussi une personne assez particulière: avec son propre «moi», avec ses convictions fermes et son opinion. Subitement, il est tombé dans le coma et est décédé.
Il y a eu aussi le président du sénat intransigeant Omirbek Baigueldi6, qui disait bravement ses propositions et finalement est parti.
– Je ne dirais pas que ce sont les gens de l’entourage proche…
– Quelques mots alors sur Syzdyk Abishev7 qui a créé proprement dit cet empire qui a permis à Nazarbayev, comme s’est décrit dans «Le Capital» de Marx, de réaliser la première étape d’accumulation du capital. C’est ce qui a été volé au peuple kazakh. Les centrales d’achat ont été créées par Monsieur Abishev. Elles achetaient des produits monétaires aux entreprises publiques pour pas cher et les revendaient à l’étranger aux prix du marché. La différence restait sur des différents comptes que Monsieur Abishev ouvrait, j’en suis persuadé, au nom de Nazarbayev et à son nom. Et cela a permis à Nazarbayev de dire après que personne ne savait quels comptes Abishev avait ouverts et où cet argent se trouvait et était stocké.
Si nous examinons les documents du «Kazakhgate», les chiffres concrètes y sont présentées: grâce aux schémas criminels organisés par Abishev plus d’un milliard cent cinq millions d’USD de ressources financières ont été sorties du budget de la République du Kazakhstan par rapport à l’année précédente.
Mais quand Abishev est devenu inutile pour Monsieur Nazarbayev, une situation très intéressante a eu lieu: Abishev est aussi tombé dans le coma. Tout d’abord, il était retenu à Moscou, on ne l’amenait pas au Kazakhstan, et je ne pouvais pas comprendre pourquoi. Je connaissais bien Syzdyk Zhumatayevich, je voulais aller le visiter, j’ai demandé l’adresse à Moscou mais personne ne me l’a donnée. On l’a amené à Almaty juste avant sa mort, il y est décédé et a été enterré au cimetière Kensai.
C’est-à-dire que la peur de Nazarbayev a créé les conditions pour pouvoir se débarrasser des personnes qui avaient auparavant créé les conditions pour la privatisation de façon familiale des objets principaux du Kazakhstan.
– Voulez-vous dire que la mort d’Abishev n’a pas été vraiment accidentelle ?
– Je voudrais dire que notre doyen a dit que Nursultan Nazarbayev s’était battu avec Syzdyk Abishev, Nazarbayev aurait frappé Abishev qui s’était blessé à la tête. Ensuite, la procédure du traitement a été commencée et un coma artificiel. Même dans la rue, on dit que Syzdyk Abishev n’est pas mort de causes naturelles, que cela a été un coup monté pour éliminer le témoin principal de l’enrichissement illégal de Nazarbayev.
(Il s’agit probablement de la déclaration de Karishal Assan-Aty8 qui prétendait que pendant ses vacances d’été en 1997, Nazarbayev a invité son gestionnaire principal Syzdyk Abishev avec sa famille en Turquie: «Un jour, le président a décidé de se promener avec Abishev dans la cour de la villa. Ils ont probablement eu un désaccord pendant leur conversation et le président a subitement frappé son interlocuteur avec une telle force que celui-ci est tombé dans la piscine vide et s’est blessé à la tête». Syzdyk Abishev est resté dans le coma pendant 1 année et 17 jours – ndlr.)
– La privatisation dans les pays de la CEI est une page noire de façon générale…
– Et si on regarde les gens qui faisaient partie du Comité d’Etat des Biens9, qui réalisaient la privatisation? A présent, il n’en reste presque personne. C’est Sarybai Kalmurzayev10 qui a eu le rôle principal, mais il est aussi tombé dans le coma et mort. Maksudbek Rakhanov11, qui s’occupait de la vente… Kalmurzayev préparait les objets à la vente, les transférait au Comité d’Etat de la privatisation de la République du Kazakhstan 12 et Maksudbek vendait tous ces objets. Il a été libéré de toutes ses fonctions, je ne sais pas où il se trouve actuellement et de quoi il vit.
Un avis de recherche internationale a été émis contre celui qui organisait concrètement des commissions d’appels d’offres, les dirigeait et soutenait tel ou tel prétendant – Duberman, il était dans le Comité d’Etat de la privatisation de la République du Kazakhstan (président adjoint du Comité d’Etat de la privatisation Yuzef Duberman- ndlr.) et connaissait le dessous des cartes de tous les processus de privatisation…
Les personnes étant des témoins directs de l’enrichissement illégal de Nazarbayev et sa peur que tout cela puisse être découvert, que les documents sur ces appels d’offres et les privatisations réalisées apparaissent… Il a fait tout pour nettoyer, pour que personne n’ait cette possibilité d’accuser Nazarbayev de l’enrichissement illégal.
Zamanbek Nurkadilov13 qui a été témoin de la privatisation illégale des objets à Almaty par les membres de la famille… J’ai été le premier adjoint de Nurkadilov et ai été témoin de ces processus qui se passaient en ville. Sarsenbayev14, témoin de la privatisation de la télévision et des médias, nous a aussi quittés comme Zamanbek Nurkadilov.
C’est-à-dire, la peur de Nazarbayev ne le laisse pas tranquille, et il entreprend les mesures les plus radicales pour exterminer ces gens qui étaient et sont témoins de son enrichissement illégal. Nous voyons que beaucoup de gens ont déjà souffert de la peur de Nazarbayev, et je suis sûr qu’en perspective les gens qui possèdent de façon directe ou indirecte les secrets des actes illégaux du président Nazarbayev souffriront encore.
– Comment les relations personnelles de Nursultan Abishevich Nazarbayev avec son entourage dont en réalité le développement du pays, les traditions politiques dépendent ont été construites? Selon quel principe les gens ont-ils été choisis dans cet entourage de Nazarbayev?
– Quand le Kazakhstan venait de devenir indépendant et autonome, le choix était encore effectué sur le principe du professionnalisme. Dans le gouvernement où j’ai eu le bonheur de travailler, il y avait à côté de moi des gens qui avaient fait tout le chemin d’un ouvrier des mines, par exemple, jusqu’au chef. Ils connaissaient de leur propre expérience ce que c’était la production. C’étaient de vrais industriels, ils savaient comment faire ressortir telle ou telle branche. Et maintenant je peux, peut-être pour la première fois, parler du fait que les secteurs se sont retrouvés dans cette situation difficile de façon artificielle à cause de la politique de Nazarbayev qui a organisé le chaos au Kazakhstan. Et pire c’était, mieux c’était pour lui.
– Par exemple?
– Une décision sans précédents d’éliminer tous les sovkhozes et les kolkhozes a été prise. Je vous dirai avec toute franchise: nous savions ce qui c’étaient des sovkhozes et des kolkhozes. Kolkhoz et une ferme collective, sovkhoz est une ferme socialiste. Les sovkhozes ont été créés pour permettre aux habitants du village de travailler, comme en ville, 8 heures par jour, d’avoir le temps pour le repos etc. Mais comme tout appartenait à l’Etat dans des sovkhozes, presque tous les sovkhozes étaient déficitaires. Les kolkhozes étaient normalement au contraire rentables. Nous nous souvenons encore que selon le bilan de l’année financière, les kolkhozniks progressistes recevaient entre 18 et 20 mille roubles. Cela était un fort motivateur dans le travail des fermes collectives.
Mais il fallait détruire cela aussi. Je me souviens comment Vera Sukhorukova15, étant vice-akim (gouverneur) de la Région Orientale Kazakh a détruit les dernières étables, a chassé tous les troupeaux dans des ménages privés des kolkhozniks.
C’est-à-dire, toutes les branches de l’économie nationale ont été déstabilisées pour commencer à agir dans ce chaos total. Je suis persuadé que les soi-disant crises dans ces branches ont été créées artificiellement.
Je peux le confirmer. Le cuivre continue à être vendu à l’étranger, zinc aussi, l’or aussi. Le métal «Carmeta»16 continue également à être vendu comme avant. Mais tout cela a commencé à partir chez un nouveau propriétaire via une structure correspondante créée à la base de la Ministère des Relations économiques extérieures. La devise reçue de la vente de ces produits restait dans les poches du chef de l’Etat et de ses proches.
– Si je comprends bien, le système du choix des cadres a-t-il changé?
– Au moment où on avait besoin des professionnels, des réformes, les spécialistes avec des qualités professionnelles spécifiques ont été invités. Ce système a commencé à fonctionner dans le gouvernement de Tereschenko17, il a été nommé premier ministre après Karmanov18 pour créer les conditions d’enrichissement illégal de Monsieur Nazarbayev.
C’est à cette époque-là qu’une politique de l’intervention des produits de consommation courante aux marchés kazakhs grâce aux crédits et aux subventions de la communauté mondiale perçus par le gouvernement du Kazakhstan a été établie. Sur l’ordre de Nazarbayev, ces facilités de crédit ont été distribuées entre des personnes proches de lui. A l’aide de ces subventions et de ces crédits, l’accumulation du capital a pu se faire. Et ensuite, il est devenu claire que Tereschenko possédait toutes les informations sur toutes les questions : qui, comment, et à qui, quand, combien et sur l’ordre de qui ces crédits restés non recouvrables ont été distribués. Tereschenko est devenu inutile à Nazarbayev. Il l’a remplacé en urgence par Kazhegueldin19.
Au fait, chaque premier ministre nommé par le président écrivait tout de suite une lettre de démission sans date fixe où il demandait de le libérer de ses fonctions selon sa propre volonté. Kazhegueldin lui-même l’a dit. Et peut-être sans cette lettre, le président ne l’aurait pas nommé premier ministre.
– Selon quel principe alors la sélection a-t-elle été effectuée?
– C’était la serviabilité par rapport au président qui est devenue le principe essentiel en ce moment-là, celui qui s’inclinait mieux devant Nazarbayev recevait des meilleures promotions. Et comme résultat? Il suffisait au premier ministre de dire quelques fois son opinion sur telle ou telle question, on prenait tout de suite plusieurs mesures concrètes contre lui ce qui permettaient ensuite à Nazarbayev de libérer sa place pour le travail du prochain premier ministre. La même chose se passait avec la nomination des ministres, des chefs des comités, des départements, des akims (des gouverneurs) des régions, dont la privatisation et la réforme agraire de la République du Kazakhstan dépendait.
Au fait, Monsieur Nazarbayev a commencé à choisir des personnes serviables, qui allaient exécuter ses ordres au doigt et à l’œil. Le Président a libéré Kazhegueldin de ses fonctions sur sa propre lettre de démission, l’a remercié pour un merveilleux travail et lui a décerné une décoration…
Le prochain premier ministre Balguimbayev20 n’avait pas beaucoup de talent d’organisation, allait voir le président tout le temps, n’a résolu aucune question lui-même. Ce système a été élaboré par le président : un leader unique, c’était seulement lui qui résolvait toutes les questions, les autres devaient pour ainsi dire être aux petits soins auprès du président. Autrement, la personne était chassée de son siège.
Je me souviens qu’après plusieurs demandes au premier ministre, je n’ai pas reçu de soutien et étais obligé d’aller voir le président et lui dire: «Si le premier ministre ne résout pas les questions qui entrent dans ses compétences, alors, Monsieur le Président, prenez sur vous le gouvernement présidentiel direct, toutes les réformes seront terminées plus vite. Vous serez également au courant des tous les événements». Il s’est beaucoup intéressé: «Comment vois-tu le gouvernement présidentiel direct?» Je lui ai expliqué ce qu’il lui fallait faire pour devenir le président direct qui dirige le pays comme, par exemple, le président des Etats Unis. Le schéma ne lui a probablement pas plu, il est bien plus simple d’accuser les premiers ministres de tous les péchés.
Au fait, quand les services chargés de l’ordre en Suisse ont annoncé à haute voix l’apparition de l’affaire «Kazakhgate», bien évidemment, selon la recommandation de ses avocats Nazarbayev s’est tout de suite débarrassé de Balguinbayev parce que celui-ci était étroitement lié à «Kazakhgate», il a amené Giffen et ils ont fait toutes leurs affaires ensemble.
(James Giffes, businessman américain et ex-conseilleur du président de la République du Kazakhstan Nursultan Nazarbayev. Les procureurs américains accusaient Griffen d’avoir corrompu Nazarbayev et Nurlan Balguimbayev, ancien premier ministre de la République du Kazakhstan, pour garantir des contrats sur le pétrole du gisement de Tengiz aux sociétés de l’ouest dans les années 1990 – ndlr.)
– Vous voulez dire alors que Nazarbayev promouvait les gens qui correspondaient complètement à ses opinions et ses intérêts, et les vendait facilement, s’en débarrassait quand la situation changeait?
– Oui, il suffisait à un petit vent d’autonomie de souffler qu’il se débarrassait de ces personnes et les néantisait. Dès que «Kazakhgate» a apparu, Balguimbayev a tout de suite été mis à la retraite. Et les trois ministères ont été reformés en un seul. J’ai été nommé le ministre de ces trois ministères unis. Le président m’a invité et m’a dit: «Balguimbayev quitte «Kazakhoil», regarde comment et crée les conditions les plus insupportables pour lui». C’était le premier vice-premier ministre Akhmetzhan Essimov qui était le chef du groupe ayant créé «Kazakhoil». Il m’a invité chez lui et a dit: «Transfère le minimum à «Kazakhoil», laisse le reste dans le ministère».
Et quand nous, plus de 25 personnes, nous nous sommes réunis dans le bureau d’Essimov et avons commencé à parler de «Kazakhoil», l’ex premier ministre et le chef tout nouveau de «Kazakhoil» Balguimbayev a pris la parole et a donné la liste de tout ce qu’il fallait lui transférer, moi, comme ministre, je n’ai pas étais d’accord. J’ai dit qu’il était nécessaire de laisser ces objets dans le ministère sinon on n’aurait plus besoin du ministère. Essimov m’a soutenu. Balguimbayev a dit alors: faites comme vous soulez, vous pouvez accepter la proposition du ministre.
C’est-à-dire, dans cette situation Monsieur Nazarbayev a adopté la politique «diviser pour mieux régner». Il a dit une chose à Balguimbayev et une autre chose à moi, parce qu’il n’était pas claire comment «Kazakhgate» se terminerait. Il avait besoin d’une «solution de secours» pour pouvoir toujours rejeter la faut. Sur qui? Sur Balguimbayev.
– Je comprends, par exemple, pourquoi Nazarbayev pouvait avoir peur des ambitions de Kazhegueldin. Mais vous avez parlé maintenant des personnes qui sont loin d’appartenir au premier rang des politiciens vraiment sérieux. Est-ce qu’il a peur même des personnes pareilles?
– Je dirais que Nazarbayev est une personne soviétique. Il est sorti de ce système-là. Et ce système vicieux formé dans le socialisme qui consiste à rejeter la faute sur son prédécesseur a été adopté par Nazarbayev comme le seul correct et il le popularisait et favorisait. Je citerai un exemple. Nurkadilov est resté longtemps sur sa position du président du Comité exécutif de la ville Almaty21 malgré les deux premiers secrétaires du Comité régional. Et quand le premier secrétaire du Comité régional lui disait qu’il ne lui restait que trois jours, il continuait à travailler. Et déjà ce premier secrétaire du Comité régional qui avait dit qu’il ne restait que trois jours au président du Comité exécutif de la ville était parti mais Nurkadilov travaillait toujours grâce au fait qu’il avait été nommé par Kunayev. Et il l’a laissé malgré tout parce qu’il était le protégé de Kunayev.
La situation est totalement différente ici. Je me souviens de la Région Pavlodarski, je me souviens de la Région du Nord Kazakh, de la Région Kokchetavski, je me souviens de plusieurs régions, de la Région Mangistauski, par exemple, où une personne, après être nommée gouverneur, recevait un ordre de trouver les informations contre l’ex-akim (gouverneur) et de les transmettre au président.
– Mais pourquoi?
– Comme Nazarbayev l’a dit en rendant la sentence à Nurkadilov, «si un article de la loi existe, on peut toujours trouver la bonne personne». Par exemple, quand Shalbai Kulmakhanov22 est arrivé à Almaty après le scandale connu entre Nurkadilov et Nazarbayev, il a reçu une tâche de rassembler les informations compromettantes contre Zamanbek. J’ai été nommé à la place de Kulmakhanov. Et j’ai reçu un ordre de Nazarbayev de rassembler les informations compromettantes contre lui.
Un mois de travail s’est écoulé et Nazarbayev m’a appelé: «Alors, as-tu rassemblé des informations contre ton prédécesseur?» J’ai répondu que j’avais trop de travail que j’avais besoin d’un mois supplémentaire. Un mois pile après, Nazarbayev m’a rappelée: «Alors?» Après le troisième mois de relâche, j’ai demandé d’être accueilli par Nazarbayev, je suis arrivé et je lui ai dit: «Vous avez les services secrets, je vous prie, qu’ils s’occupent de cela, je ne pourrai pas rassembler des données compromettantes». Il s’est levé, m’a tapoté sur l’épaule: «Je n’ai attendu rien d’autre de toi. Bravo».
Mais quand Monsieur Tasmagambetov23 m’a remplacé, il lui a donné un ordre de rassembler des données compromettantes contre moi. Je l’ai appris quand après la nomination de Tasmagambetov sur le poste d’akim (maire) d’Almaty, nous étions dans le même avion avec le président en direction de l’est où il devait me présenter comme akim de la Région Orientale Kazakh. Le chef d’une des unités s’est assis près de moi et a dit que le président avait donné la tâche à Tasmagambetov de rassembler les informations contre moi. J’ai répondu qu’il pouvait rassembler s’il voulait. J’étais sûr de ne pas être mêlé à des affaires sales. Tout a été fait aux termes de la loi, c’est pourquoi j’étais tranquille et sûr qu’Imangali Tasmagambetov ne ressemblerait aucunes informations compromettantes. Mais je me suis trompé. Il les a rassemblées et Nazarbayev les a utilisées ensuite contre moi.
– Est-ce que ces informations compromettantes marchent vraiment?
– Regardez l’année 1998, si on parle de Kazhegueldin. Il a été renvoyé sur sa propre lettre de démission, a été décoré, a reçu la reconnaissance et la gratitude du président pour avoir bien travaillé pour la patrie. Mais quand Kazhegueldin a créé sa propre partie, a enregistré sa charte et a dit qu’il participerait à l’élection présidentielle, Nazarbayev a tout de suite donné un ordre au Comité de la sécurité nationale, et les informations compromettantes rassemblées contre lui ont commencé à être utilisées. Mais c’était Monsieur Abykayev24qui s’en est mêlé. Il a amené Kazhegueldin chez le président par la porte de service et celui-là lui a laissé une lettre où il le remerciait pour leur activité commune et promettait de ne jamais participer à la présidentielle du Kazakhstan. Grâce à cette lettre, Kazhegueldin a quitté Akorda25 comme vainqueur, on peut le dire.
Mais quelques jours après, il s’est quand même présenté comme un candit à la présidentielle. Et évidemment il est tout de suite devenu un criminel par rapport au Kazakhstan, plus précisément, par rapport au président du Kazakhstan. Ensuite, il a été reconnu criminel, bandit, jugé et condamné à 10 ans de prison.
C’est-à-dire, le schéma «diviser pour mieux régner» était et reste actif. Et chacun doit comprendre que Nazarbayev vendra n’importe quel membre de son équipe quand cela lui sera utile et nécessaire.
1 Mikhaïl Poltoranin — journaliste professionnel russe, personne publique de l’URSS et de la FR. Entre 1964—1986, il a travaillé comme envoyé spécial dans des journaux différents.
2 Comité régional de la Partie Communiste du Kazakhstan
3 Dinmukhamed Kunayev — homme d’Etat et personne publique, Premier secrétaire du Comité Central de la partie Communiste de la RSS du Kazakhstan (1964 – 1986)
4 Serikbolsyn Abdildin – Président du Soviet Suprême de la RK (1991 — 1993)
5 Marat Ospanov – président de la Chambre basse du Parlement de la RK (1995 -1999)
6 Omirbek Baigueldi – président du sénat du Parlement de la République du Kazakhstan (1996 – 1999)
7 Syzdyk Abishev — économiste, docteur en sciences économiques; homme d’Etat, ministre des relations économiques extérieures du Kazakhstan (1990—1994). Appartient à la famille de la première épouse de N. Nazarbayev, Sarah Nazarbayeva.
8 Karishal Assan-Aty – écrivain, lauréat du prix international Hellman/Hammett
9 Comité d’Etat de la République du Kazakhstan des biens publics
10 Sarybai Kalmurzayev – président du Comité d’Etat des biens publics de la République du Kazakhstan (1994 – 1995), chef de l’administration du Président de la RK (1999—2002)
11 Maksudbek Rakhanov – président du Comité d’Etat de la privatisation des biens publics de la République du Kazakhstan
12 Comité d’Etat de la privatisation de la République du Kazakhstan
13 Zamanbek Nurkadilov – ancien maire d’Almaty dans les années 1991 – 1994, gouverneur (akim) de la région d’Almaty (1997 – 2001), président de l’agence des situations d’urgence de la République du Kazakhstan (2001 – 2004)
14 Altynbek Sarsenbayev – ministre de la presse écrite et des médias de la RK (1993 – 1995), secrétaire du Conseil de la Sécurité de la République du Kazakhstan (2001 – 2002)
15 Vera Sukhorukova – vice-akim (gouverneur) de la Région de l’Est Kazakh (2003 – 2004), député de la Chambre basse du Parlement de la République du Kazakhstan (2004 – 2007)
16 Entreprise combinée métallurgique de Karaganda
17 Sergeï Tereschenko – premier ministre de la RK (1991 – 1994)
18 Uzakbai Karmanov – président du Conseil des Ministres de la RSS du Kazakhstan (1989 – 1991)
19 Akezhan Kazhegueldin – premier ministre de la RK (1994 – 1997)
20 Nurlan Balguimbayev – premier ministre de la RK (1997 – 1999)
21 Comité exécutif de la ville
22 Shalbai Kulmakhanov – akim (gouverneur) de la ville Almaty (1994 – 1997), ministre des situations d’urgence de la RK (2005 – 2007)
23 Imangali Tasmagambetov – assistant du Président de la RK (1993 – 1995), premier ministre de la RK (2002 – 2003), akim (maire) d’Almaty (2004 – 2008), akim (maire) d’Astana à partir de l’année 2008.
24 Nurtai Abykayev – chef de l’Administration du Président (2002 – 2004), président du sénat du Parlement de la RK (2004 – 2007), président du comité de la sécurité nationale de la République du Kazakhstan à partir de l’année 2010.
25 Résidence du Président de la République du Kazakhstan