Les années en tant que gouverneur de la province du Kazakhstan oriental
Le 8 décembre 2004, le président Nazarbayev téléphona à Viktor Khrapunov. Il exprima sa vive inquiétude à l’égard du Kazakhstan oriental, région en proie aux pires difficultés économiques et industrielles. Il flatta le maire d’Almaty en lui disant que seul un gestionnaire de crise expérimenté comme lui, un poids lourd politique, un homme à la réputation sans taches, un réformateur infatigable ne reculant devant aucune difficulté pourrait améliorer la situation de cette Province. Le maire d’Almaty hésita. Le président insista en lui disant que son mandat ne dépasserait pas une année. Viktor Khrapunov comprit qu’il n’avait pas le choix. Le lendemain, il fut nommé gouverneur du Kazakhstan oriental. Sur le papier, il s’agissait d’une promotion. Dans les faits, Viktor Khrapunov l’empêcheur de tourner en rond était mis hors d’état de nuire. Lui parti, Almaty fut livrée sans défense à l’appétit de la famille Nazarbayev. En quelques mois, la ville brada ses infrastructures aux moins offrant. Ceux qui avaient travaillé à l’exil de l’ancien maire purent jubiler et mettre en œuvre leurs desseins malhonnêtes.
De décembre 2004 à janvier 2007, après 35 ans passés à Almaty, Viktor Khrapunov retrouva ainsi sa province d’origine, l’une des plus étendues du Kazakhstan avec une superficie de 283’000 km2. Et l’une des plus industrielles, avec 20% de la production totale du pays (entreprises sidérurgiques, usines de transformation du minerai de plomb et du minerai de zinc, combinat de titane et de magnésium, etc.). Lorsqu’il prit ses nouvelles fonctions, la région figurait cependant, malgré son potentiel, au dernier rang de tous les classements officiels permettant de comparer entre elles les grandes villes et les provinces du pays. Et de nombreuses entreprises avaient déjà été accaparées par la famille Nazarbaïev, notamment les sociétés Kazzinc (Combinat de plomb et de zinc), le Combinat de titane et de magnésium (TMK), Kazakhmys (entreprise d’extraction et de production de métaux non ferreux), l’Usine d’armature d’Oust-Kamenogorsk (fabrication d’installations techniques pour le réseau gazier), la Cimenterie de Bukhtarma et celle de Semipalatinsk.
Sans tarder, le gouverneur se mit au travail : il géra les crises et les pannes, investit les moyens nécessaires dans les infrastructures énergétiques afin d’améliorer l’approvisionnement en électricité, dota les grandes villes de nouveaux plans directeurs, supprima la bureaucratie liée à la création d’entreprises, promut la construction de nouveaux logements, favorisa la renaissance d’une industrie agroalimentaire et de produits laitiers, rétablit la liaison fluviale par hydroglisseurs entre les deux principales villes de la province, fit construire une usine moderne de transformation de bois afin d’exploiter les importantes ressources forestières de la région, etc. Avantage de son isolement aux confins du pays : il eut les coudées franches pour agir et réformer pour le bien de la population.
Pour régler les problèmes les plus graves (alimentation en eau chaude de chauffage dans plusieurs villes), il fit intervenir des scientifiques émanant des meilleurs instituts spécialisés d’Almaty (Institut de recherche scientifique et de projet Energoprom, Institut de recherche scientifique en Energie Chokin, Institut Energie). Il obtint également du Premier ministre la décision de construire à Semipalatinsk une nouvelle centrale thermoélectrique (le projet sera gelé après son départ).
Les conséquences ne tardèrent pas à se faire sentir pour les habitants de la Province. Leur quotidien s’améliora. Le travail de Viktor Khrapunov lui valut une reconnaissance officielle. Une année après son arrivée, la région remonta au 3e rang du classement national des villes et régions du Kazakhstan. En parallèle, Almaty, qui occupait la première place au moment de son départ, chuta au 7e rang. Après deux ans de travail acharné, Viktor Khrapunov réussit à faire remonter la région du Kazakhstan oriental au 2e rang des classements.
Le désintérêt du Président pour cette Province laissa une grande marge de manœuvre au gouverneur, mais ce dernier dut cependant, durant toute la durée de son mandat, affronter les pressions de Dariga Nazarbayeva, la fille du président, qui considérait cette région comme son fief.
Les tensions avec la fille du président remontaient aux années passées à la mairie d’Almaty. Viktor Khrapunov s’était refusé à bourrer les urnes à la demande de Dariga, empêchant le parti de cette dernière (Asar), nouvellement créé, de remporter tous les sièges de la ville aux élections de 2004. Dariga le prit très mal. C’est à cette époque qu’elle commença à affirmer publiquement que Viktor Khrapunov était son pire ennemi. Au Kazakhstan oriental aussi, Viktor Khrapunov refusa de se soumettre aux volontés de Dariga Nazarbayeva qui voulait y placer ses hommes, y piller toutes les richesses naturelles encore disponibles (par exemple les mines d’or) – autrement dit, celles pas encore accaparées par son père. Viktor Khrapunov s’y opposa, empêchant ainsi Dariga de réaliser ses projets malhonnêtes.
Dariga Nazarbayeva ne recula devant aucune manipulation pour garder la mainmise sur cette région et nuire à la réputation de son gouverneur. Elle monta notamment des campagnes de diffamation dans les médias sous son contrôle, par exemple le jour même de la nomination de Viktor Khrapunov à ses nouvelles fonctions. Ce jour-là, il faisait moins 40 degrés et la neige s’entassait sur deux mètres de hauteur. Cela n’empêcha pas Dariga Nazarbayeva de faire publier le reportage que vous pouvez voir ici (lien). Aux conditions pluvieuses, on comprend qu’il avait été tourné longtemps auparavant et que les faits sont présentés de manière on ne peut plus tendancieuse.
Pendant des années, Viktor Khrapunov avait eu le sentiment que son attitude intransigeante à l’égard de tous, y compris les membres de la famille présidentielle, était acceptée et même respectée par le président lui-même. Après tout, pour l’image du pays, à l’intérieur comme à l’extérieur, un ministre qui réformait et augmentait les recettes fiscales, même s’il mettait des bâtons dans les roues des spoliateurs de tous poils qui s’accaparaient les ressources du pays, cela pouvait rendre service. Mais durant la période passée au Kazakhstan oriental, il sentit que le vent avait tourné. Il comprit que l’histoire allait se répéter et que, comme à Almaty, on ne le laisserait jamais faire ce qu’il voulait.
Cette intuition se confirma en janvier 2007. Le président l’appela par surprise pour lui proposer le poste de Ministre des situations d’urgence. Viktor Khrapunov s’y opposa. Il fit valoir qu’il avait déjà été ministre et que le poste proposé était de peu d’envergure, sans intérêt. Il rappela également au président que, au vu de ce qui était arrivé aux deux premières personnes qui avaient occupé ce poste (Z. Nurkadilov avait été assassiné ; Sh. Kulmachanov, suite à une rocade, avait été définitivement écarté de la vie politique du pays), on ne pouvait pas considérer ce ministère comme une promotion… Il lui expliqua enfin que le programme de redressement de la région du Kazakhstan oriental était très prometteur et qu’il voulait y rester encore trois ans pour assurer sa pérennité. Mais le président imposa sa volonté : Viktor Khrapunov résista autant qu’il put mais, une fois de plus, il comprit qu’il n’avait d’autre choix que se soumettre et quitter son fauteuil de gouverneur.
Dans ce cas comme dans cent autres, le choix du président répond à une seule et unique exigence : plaire à sa fille. Et les besoins de la population ? Ils n’ont pas de place dans son mode de fonctionnement, fondé sur le réflexe clanique, la soif de pouvoir absolu et l’enrichissement personnel. Ce dysfonctionnement majeur du système politique kazakh est vouée à perdurer aussi longtemps que les principaux dirigeants du pays seront directement choisis et nommés par le président. Raison pour laquelle Viktor Khrapunov propose de remplacer ce système archaïque et digne d’une république bananière par l’élection directe par le peuple de tous les maires et gouverneurs du pays. Il s’agit d’une réforme indispensable pour que le Kazakhstan retrouve enfin le chemin de la démocratie.